Mohamed El Baz

Mohamed El baz
Sète novembre 2006
Français/Anglais
280 pages couleur, 16 x 22 cm, couverture rigide
Tirage 600 exemplaires
ISBN 2-908964-47-3


Prix  20 €

Bricoler l'incurable. Niquer la mort/Love Suprëme. Le livre est une tentative de dresser une trace de quelques années d'expériences. Entre 2003 et 2006, des espaces d'expositions se sont ouverts au projet. Le livre vient simplement en rendre compte. Nous avons choisi de montrer les rencontres, les événements, les lieux, les œuvres dans une suite non hiérachique. Sans données conjoncturelles, sans surlignage des expositions. Comme un détail de Bricoler l'incurable en somme. Ce livre vient augmenter la collection.

Édition réalisée en coproduction avec le Centre Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon à Sète avec le soutien de la Région Languedoc-Roussillon, du Ministère de la Culture Direction Régionale des Affaires Culturelles Languedoc-Roussillon, de la Ville de Sète, l’association Nouvelle Vague – Sète et le Centre d'Arts plastiques et visuels - Ville de Lille

 

"Être moderne, c’est bricoler l’incurable"
Émil Michel Cioran (Syllogismes de l’amertume – 1952)

Si au début du XIXè siècle, Heinrich Von Kleist, poète tragique de l'Allemagne dit comment la lecture de Kant l'a réduit à une existence désespérée devenant l' "incurable" même, Mohamed El baz érige dès 1993 son projet : Bricoler l’incurable, Détails en déclaration d’intention artistique. Dès lors, ce projet expérimental et poétique, ne cesse de  déployer selon la singularité des lieux et du moment, tout un corpus de dessins et de textes, de photographies et de vidéos, d’actions et d’installations, à comprendre toujours comme autant de Détails de l’ensemble en perpétuelle construction : Bricoler l'incurable, Détails. Un projet qui d’emblé évoque nos impuissances et se dresse comme l’expression d’un constat d’échec. L’artiste lui-même explique cette faillite annoncée comme point de départ de l’œuvre : "Je voulais affirmer une douleur ou l’inconscience, l’impossibilité d’assumer certains problèmes (…). Malgré notre volonté d’agir sur le monde, sur les situations qui nous touchent de près, nous ne faisons que bricoler. Quelque chose est inguérissable par définition". Ainsi, gestes du quotidien, carte du monde stylisée, révolte silencieuse d’enfants, portraits de familles, journal intime d’évènements publics, photographies de visages enflammés, drapeaux et autres signes de pouvoir peints à même le mur, se confrontent les uns aux autres dans les dispositifs de Mohamed El baz comme autant de tentatives, perdues d’avance, de cicatriser les plaies du quotidien. Exercice vain. Ne subsistent alors comme il le dit lui-même, que "quelques restes bien entretenus d'une tentative de combat" pour maintenir un ultime dialogue de résistance avec le monde. Exit toute réconciliation. Ne pas panser les plaies mais au contraire les maintenir à vif. Bricoler l’incurable, Détails se propose, si ce n’est de recomposer une réalité sociale et politique, tout au plus de regarder l’Incurable bien en face et d’extraire du monde ses manques, ses lacunes, ses petits incidents du quotidien "ni grands ni intéressants, qui en eux-mêmes ne valent rien, et de les mettre en collision avec l’Histoire et tout ce qu’elle admet de grand et d’important". Constat d’échec, certes. Regarder le pire autrement, sûrement… Bricoler l’incurable, Détails s’extirpe alors de sa complexion mélancolique, pour participer à l’Histoire en construction, avec rage et désir de faire violence. Héritière des provocations des avants gardes du XXè siècle, l’œuvre Bricoler l’incurable, Détails trouve sa force dans le fait qu’elle "donne à penser". Fragments de vie, ou de révoltes d’une Histoire bricolée dont la mise en dialogue contredit l’ordinaire et entraîne le spectateur à s’interroger, le mettant face à lui-même, à l’ordre et au désordre du monde. Lutter contre l’oppression du Temps et de l’Histoire.  Interrompre  l’ordre de l’Histoire que le Temps pourrait instituer, figer, voire oblitérer dans le passé. Mohamed El baz se fait alors architecte de la mémoire en réécrivant l’Histoire par ses fragments, en lui substituant ces Détails du mondepuisés tantôt dans l’univers personnel, intime tantôt dans l’actualité. En s’appuyant ainsi sur des objets et des symboles dont les implications culturelles et idéologiques sont variées, et en les confrontant, il rend incongrue leur situation, et leur confère ainsi un sens et un devenir nouveau qui se substitue à la "réalité". Une œuvre donc à la frontière de la fiction, fiction convoquée par un savant "bricolage" dont Claude Lévi Strauss nous rappelle le sens ancien : "le verbe bricoler s’applique au jeu de balle et billard, à la chasse et l’équitation, mais toujours pour évoquer un mouvement incident ; celui de la balle qui rebondit, du cheval qui s’écarte de la ligne droite pour éviter un obstacle". Aujourd’hui, ajoute-il, la démarche du bricoleur, est d’abord "rétrospective : il (le bricoleur) doit se tourner vers un ensemble déjà constitué, formé d’outils et de matériaux ; en faire et en défaire l’inventaire ; enfin et surtout engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier avant de choisir entre elles, les réponses possibles que l’ensemble peut offrir au problème qu’il lui pose. (…) Le bricoleur s’adresse donc à une collection de résidus d’ouvrages humains, c’est-à-dire à un sous ensemble de la culture". En rassemblant ces  restes  du Temps, ces  Détails  du monde, Mohamed El baz s’adonne à un tel bricolage, que sa pratique se rapproche du Cut up  littéraire, technique inventée par le peintre Brion Gysin et pratiquée dès les années 1960 par l’écrivain de la Beat Generation William S. Burroughs, pour briser la rigidité de la mécanique langagière. "Je suis là, [disait Burroughs], pour vous montrer quelques trucs que vous appelez réalité". En pratiquant le Cut up, il proposait ainsi une autre manière de l’appréhender. En la déstructurant, il montrait d’abord un refus d’aliénation à cette réalité, et au-delà, s’appliquait à la subvertir, par la fiction née de la recombinaison de différents fragments textuels. En ayant recours à ses Détails, restes et débris  du monde, Mohamed El baz, à son tour, coupe cours à la réalité, à son rythme effréné et son Histoire écrasante. Il nous propose alors de pénétrer dans une fiction à travers des espaces recomposés du réel qui sont autant de territoires où l’incurable se donne à voir autrement. Mais sa pratique du Cut up ne s’arrête pas là. L’artiste l’applique ainsi à l’ensemble de son œuvre, passée elle aussi au crible de la fragmentation par le redéploiement perpétuel et le mixage permanent des différents Détails, qui dans le projet global ont une fonction nomade. Jamais figés, ils naviguent spatialement et temporellement dans l’œuvre, aux grès des combinaisons qu’effectue Mohamed El baz sur un principe de répétition, de permutation et de mise en tension.  Une manière de renouveler sans cesse la vision du monde sensible que l’artiste déploie. Une œuvre donc en forme de rhizome, qui semble n’avoir ni début ni fin, mais un milieu par lequel elle pousse et déborde, obéissant au principe de "connexion et d’hétérogénéité" développé par Gilles Deleuze et Félix Guattari, principe selon lequel : "n’importe quel point d’un rhizome peut être connecté avec n’importe quel autre et doit l’être". Si l’énumération des nombreux Détails ainsi que leurs incessantes réactualisations relèverait pour nous du défi, ils trouvent en tout cas une place de choix dans le titre du projet générique, puisqu’ils servent de ramifications aux différentes déclinaisons de Bricoler l’incurable, Détails et permettent à l’œuvre subvertie par ses propres débordements de rester cohérente au-delà de son hétérogénéité apparente. De la même manière, Bricoler l'incurable. Niquer la mort/Love Suprême, livre incontournable publié en 2006 aux Éditions Villa Saint Clair tient lieu de Détail, mais porte en lui une dimension globale, sorte de recueil de moments qui ont constitué Bricoler l’incurable, Détails entre 2003 et 2006. Le livre s’est ainsi ouvert à toutes une série d’expositions qui ont marqué cette période. Sans chronologie, sans données conjoncturelles, ni surlignage aucun, celles-ci se composent et se décomposent au fil d’une multitude de Détails et par de nombreux allers-retours géographiques entre la France et le Maroc notamment. Le livre, fonctionne alors comme une nouvelle occurrence de Bricoler l’incurable.Détails, dans laquelle Mohamed El baz et Jacques Fournel ont choisi de mêler les rencontres, les évènements, les lieux, et les œuvres dans une suite sans hiérarchie. Un livre qui propulse également la pratique du mot que Mohamed El baz  crache  sur les murs d’exposition depuis le début de sa production, en l’étendant à un autre temps, celui du texte. Textes superposés aux images et marqués par des accents existentiels, par une rage qui fait se croiser : sexe, mort, torture, culte mais où la violence froide reste toujours poétique. Une publication singulière, œuvre en soi, un détail de plus à l’édifice...



http://www.moelbaz.com/