Gaëlle Hippolyte Le cortège des zèbres
 Sète 2005/2006
 320 pages noir et blanc, 15 x 21 cm, couverture rigide
 Tirage 600 exemplaires
 Textes Rayas Richa, Magali Brénon, Émilie Rousset
 ISBN 2 908964 45 7


 Prix 20 €

Dessiner dans ses carnets des fractions du quotidien à tiroirs multiples qui réinventent en filigrane, par la confrontation d’une multitude de personnages et d’objets arrachés au hasard d’univers contradictoires, une histoire plus longue et forcément composite ; tel est l’exercice auquel se soumet régulièrement Gaëlle Hippolyte. Son livre jubilatoire : Le Cortège des zèbres, au titre éponyme d’une exposition organisée à la Villa Saint Clair en 2006, regroupe 320 pages de dessins noirs et blancs tout droits sortis de ses carnets, comme une invitation à plonger dans l’univers particulier de l’artiste. Un quotidien réinventé, pourrait-on dire, car avec ses dessins on ne pénètre jamais dans un monde objectif, réfléchi, mais bien plus dans un monde cocasse et joyeux, aussi ambigu que farceur ; dans une simulation de second degré. L’espace du livre sert ici de contexte à cette oeuvre foisonnante et diffuse, tressée et contredite, mélée et tremblée, qui ne cesse de faire subir de truculentes situations autant aux personnages, qu’aux choses et aux animaux, anthropomorphisés. Cette production du dessin, à l’épreuve dans Le Cortège des zèbres, propose alors un regard décalé sur le monde réel, sur l’homme, cet autre zèbre, autant que sur le dessin lui-même. Du tracé rapide, spontané, toujours noir, (l’artiste n’utilise jamais de couleur) jaillit alors un univers étrange, sans scrupule, composé d’objets hybrides aux yeux interrogateurs, qui semblent autant que nous se demander ce qu’ils font là…, au milieu beau de cette galerie de personnages dont on croirait certains échappés de comics, ou de bande dessinée de l’après guerre. Quelques fois, des phrases s’entremêlent au dessin, comme des extraits neutralisés hors de leur contexte, tout comme les personnages représentés avec lesquels les mots entrent en résonance. Aussi si certains zèbres décident de profiter de l’absurdité de la situation pour POSER DANS L’ESPACE INDÉTERMINÉ DE LA PAGE BLANCHE, comme cet être noir aux formes molles et au sourire mielleux, hissé sur ses longues pattes vissées dans des baskets ; d’autres au contraire, se dégage de toute responsabilité quant à leur présence incongrue dans ce cortège des zèbres, par d’ innocents : JE N’AI RIEN FAIT… Mascarade du monde, où chacun se toise du coin de l’œil, où l’humanité se confond à des animaux et des objets en situation. En rassemblant cette faune, unie par le livre, mais déchargée de tout contexte, hormis celui de la page blanche, Le Cortège des zèbres va plus loin et nous emporte au cœur de ce défilé de personnages loufoques, à mi chemin entre réalité et fiction, sur le terrain référentiel de l’artiste. Au-delà du style qui lui est propre, Gaëlle Hippolyte joue ainsi aussi bien avec "les tics esthétiques de dessinateurs tels que Seth ou Daniel Clowes, que les citations de l’art de Philip Guston ou de Oyvind Fahlstrom. L’artiste n’hésite pas à mixer les références et revendique dans ces dessins, un héritage aussi divers que celui de bande dessinée des années 30, de la littérature du XIXè siècle (Balzac, Meville) ou des Tijuana Bibles, bandes dessinées à l’esprit noir et l’irrévérence grivoise apparues durant le crise de 1929 aux États Unis et vendues sous le manteau."

Le Cortège des zèbres édité suite à une résidence de l’artiste à la Villa Saint Clair, et en parallèle de son exposition du même nom est enrichi par les textes tout aussi surréalistes de Rayas Richa, Magali Brénon et Émilie Rousset, et tiré en 600 exemplaires. Et puisque nous sommes dans la fabrication de l'objet, notons au passage la couverture orange feutrée, qui accueille un dessin gravé en son centre, ainsi que les coins subtilement arrondis de chaque page.

Virginie Lauvergne