Bernard PiffarettiBernard Piffaretti

Bernard Piffaretti After pas égaux
février 2007
En coédition avec le Centre Régional d’Art Contemporain Languedoc Roussillon à Sète
 432 pages couleur, 21 x 29,7 cm, couverture rigide
 Tirage 600 exemplaires
 ISBN 2-908964-50-3


 Prix 30 €

Cette édition présente un certain nombre de "produits dérivés". Ils constituent un moment récurrent dans ma "chronique du tableau". Périodiquement, tous les six ou huit mois, cette récréation vient faire image en regard au tableau. Ce désœuvrement est comblé par la copie approximative des peintures au moyen de crayons de couleur. Le dessin ne peut pas être une étape préparatoire. C'est le premier temps de peinture du tableau qui en a la charge. Ce dessin intervient à contretemps, il est un constat donnant raison à la peinture. Les petits tableaux réalisés au cours de la même période, se matérialisent par un lot d'une dizaine de châssis standards de petits formats. Ces châssis sont entoilés avec les chutes de toile provenant des tableaux de l'année. Chaque toile est désignée par un marquage central noir. Je les considère comme des dessins. Depuis 2002 une autre activité de ce retrait consiste à réaliser des impressions numériques en noir et blanc. Ces produits portent le nom de "poncif", en référence à cette ancienne technique de reproduction. Ces dessins piquetés voyaient s'accomplir leur duplication par le frottage d'une poudre noire. Poncif est à double sens puisqu'il notifie aussi que chaque situation picturale a déjà existé. Tous ces produits dérivés sont des pièces uniques. Ils sont à "usage intime". C'est une étape nécessaire dans ma pratique, ils soulignent la banalisation de la transfiguration picturale. La publication est réalisée à échelle1 par rapport aux"produits dérivés", sa simplicité image ces moments de retrait et de silence.
B. P.

Exposition "Chronique du tableau 2002 2006" - 2 mars 3 juin 2007 CRAC L-R

Alors que l’on connaît d’abord Bernard Piffaretti pour son activité picturale, la publication "after pas égaux" éditée en 2007 par la Villa Saint Clair et le Centre Régional d'Art Contemporain Languedoc-Roussillon de Sète, a choisi de mettre en lumière une pratique secondaire de son activité en consacrant entièrement ce riche opuscule, à ce que l’artiste nomme lui-même : les produits dérivés. Toutefois, si les duplications picturales sont ici absentes, les produits dérivés, ces réalisations "faibles", sans qualités, par un effet boomerang nous renvoient alors à un face à face incontestable avec la peinture, en nous montrant en négatif ce que produisent les tableaux. Les produits dérivés, une relance possible vers l’œuvre picturale…

On sait que les peintures de Bernard Piffaretti sont régies par un protocole très précis, qui demeure inchangé depuis 1986. Ce programme qui tient en peu de contraintes lui laisse par ailleurs une marge de manœuvre d’une grande amplitude, produisant une œuvre rarement pressée de conclure, et qui demeure à l’inverse toujours ouverte. Ainsi ses peintures ne se ressemblent jamais, malgré un processus bien établi et inscrit en creux en chacune d’elles. Seule la division centrale de la toile par un trait épais, demeure invariablement le seul élément qui ne diffère que très peu de l’une à l’autre. Il est également le premier état programmatique, sans lequel la peinture ne peut advenir.  Cette ligne centrale détermine alors les deux parties (droite/gauche) du tableau, mais aussi les deux temps indispensables à l’élaboration de l’œuvre. La première partition peinte indifféremment sur l’une ou l’autre des parties, est dans un second temps dupliquée, en grande partie de mémoire, sur la partie laissée jusque-là vacante. Au final, les deux parties semblables à s’y méprendre sont pourtant toujours différentes.  Quelques fois, même, la seconde partie est laissée vierge lorsque le processus de redoublement pictural se heurte à la gestuelle d’une première partition trop complexe à reproduire. Toujours est il que le tableau final advient seulement lorsque ses deux temps ont été éprouvés, et à ce moment seulement on peut s’accorder à cette formule qui lui est chère : "1+1 n’égal pas 2, mais 1+1 égal 1".

La durée à l’œuvre dans ses tableaux semble se redoubler dans sa pratique du dessin. Une pratique arrivée en 1991-1992 " presque naturellement 1".  Les dessins, qui portent bien leur nom de "produits dérivés", arrivent ainsi toujours après et d’après les peintures, et ne constituent donc en rien des esquisses préparatoires comme on serait à priori amené à le penser. "Peut-être, [comme le dit l’artiste], font-il preuve d'encore  plus d'abstraction que  les tableaux. 2" Toujours est-il que pour lui,  "ils deviennent un moment nécessaire  dans ce continuum pictural: un temps de relance et un temps de (re) création, une récréation pour mieux rebondir 3". Bernard Piffaretti répète alors ce cycle  environs tous les 8 ou 10 mois. "C'est une manière  de prendre acte d'une session de temps, de durée. Ce temps de "désœuvrement" n'est là que pour enregistrer visuellement  les caractéristiques du tableau. 4" La pratique à ce  stade n'a plus rien à voir avec le "protocole" opérant pour les tableaux. Les dessins jouent plutôt  le rôle de  cartels. La dimension et l'année sont ainsi  inscrites sur la page en dessous de chaque dessin. En tant qu’enregistrements datés des peintures, ces dessins ont alors à plusieurs reprise été comparés à des photographies de familles. Mais à la nostalgie qu’induit ce type d’imagerie, Bernard Piffaretti revendique un certain détachement et préfère alors  de loin rapprocher cette pratique avec celle de l’archivage, sans nostalgie, ni emphase. Il ajoute alors que "si des familles formelles  peuvent naître de cet archivage, elles devront toujours être perçues avec la plus grande platitude. 5"

Alors qu’une des forces de ses tableaux réside dans la superposition des couches picturales, ces dessins pourraient faire penser à des radiographies incomplètes, qui semblent nier ce qui se joue en profondeur des peintures pour ne soutenir qu’une image de leur surface. Enregistrements d’un temps arrêté, ils évacuent du même coup un élément fondamental de la peinture. Sorte de simulacres des peintures, d’images  affaiblies.  "La facture de ces dessins est juste suffisante pour qu'ils  figurent "le tableau originel". Le crayonnage nous installe aussi  dans un effet d'inachèvement comme s’il y avait une prise rapide  d'un moment de peinture (faire un croquis) 6".   Il faut ainsi les comprendre  comme des fragments d'un ensemble. Aussi, alors que les peintures de Bernard Piffarretti portent en elles leur propre genèse en même temps qu’elles la renient (on ne sait jamais au final quelle partition a été exécutée avant l’autre), les dessins, en revanche, ne semblent pas pouvoir en découdre d’avec leur matrice. Ne portant sur rien d’autre que le modèle pictural intégré, on pourrait à leur propos parler d’images analytiques, réflexives, qui bien qu’intégrant une différence productive au sein même de la reproduction, renvoie indéfectiblement à une histoire et à un corps préexistants. Revenant sur cette condition, l’artiste affirme alors : "Ces dessins ne peuvent exister, que parce qu'ils sont postérieurs aux tableaux. Ils sont sous- produits et sont à percevoir comme l'indique le titre, comme des "produits dérivés" et non comme des multiples. 7"

Parmi ces  produits dérivés, on retrouve également au sein de la publication "after pas égaux", ces petites toiles blanches de formats divers, confectionnées avec les chutes des peintures grand format. Elles sont alors simplement marquées verticalement d'un trait noir : le minimum essentiel pour que la  peinture advienne. Or ici les espaces déterminés par la césure centrale sont laissés vierges. On repense alors aux inachevés et à la liberté qui nous est laissée face à cet espace qu’à notre tour on s’essaye à combler, remplir, en jouant ou déjouant le jeu de la duplication. Pour l’artiste, "Ces petits tableaux doivent s'appréhender comme des dessins.  L'objet tableau prend, en quelque sorte, forme . Nous avons à faire à toutes les typologies des formats standards que l'on trouve dans le  commerce. Le marquage central n'est lui aussi que le signe induisant  ce que fabrique la duplication des deux temps de peinture. Ces petits  tableaux agissent plus par cristallisation d'éléments fondateurs du  travail que par un quelconque esprit d'inachèvement ou de devenir. 8" Enfin, les poncifs, impressions numériques, sorte d’agrandissement noir et blanc des peintures. Ces "poncifs" qui font autant référence à cette technique traditionnelle de reproduction d’un dessin aux contours piquetés sur lequel on passe une poudre noire, pour en garder la trace, les lignes, qu’à l’emploi actuel de son terme. Un poncif qui désigne aujourd’hui un travail sans grande originalité, qui  reprend des idées, des modèles déjà utilisés; qui fait preuve de la plus grande banalité. Banalité, qui ne  dérange pas Bernard Piffaretti, bien au contraire, puisque toute sa pratique semble être basée sur une volonté de banaliser l’acte de peindre. À une période marquée par un souci constant de renouvellement des formes, des pratiques et des postulats, cette banalité revendiquée devient  paradoxalement une forme puissante d’originalité, alors même que les poncifs disent bien comme le rappelle l’artiste "que toutes les situations picturales des  tableaux ne sont que des poncifs d'une histoire sans cesse en train  de se rejouer... 9"

 

"after pas égaux" titre la publication. "after", en français "après" mais aussi "d’après" comme ne cesse par ailleurs de nous le prouver Sherrie Levine." after pas égaux  qui veut signifier en quoi ces "after" diffèrent du moment de peinture  des tableaux. Ils ne sont que des images de ceux-ci. Evidemment "égaux" par jeu de mots renvoie à "ego". "Il y a par cette  distanciation supplémentaire, comme nous l'avons vu tout à l'heure, l'expression d'un ego plat ou si j'ose dire d'une banale banalité. "10

 

V. L.

1Piffaretti Bernard, propos recueillis par Lauvergne Virginie, échange par mail, Mai 2008.

2Ibidem

3Ibidem

4Ibidem

5Ibidem

6Ibidem

7Ibidem

8Ibidem

9Ibidem

10Ibidem